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Tolérée en Chine, censurée en France |
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Artiste chinoise politiquement et socialement engagée vivant entre Pékin et Paris, Ko Siu Lan réalise des œuvres dans lesquelles elle réinterprète les slogans politiques et la propagande. Reconnue en Chine, elle expose et se produit dans le monde entier.
Créatrice d’installation et performeuse, Ko Siu Lan fait partie de ces artistes chinois engagés qui n’hésitent pas à aborder des sujets sensibles. Ainsi, tous les ans elle commémore à sa manière le massacre de la place Tiananmen du 4 juin 1989. En 2006, elle a par exemple joué dans une rue commerçante de Hong Kong la performance « Memory of Air » dans laquelle, les yeux bandés, elle traçait les chiffres 6 et 4 dans l’air avec son index. En 2009, toujours dans la même ville, elle a présenté une installation - performance baptisée « Lie down revolution ».
Reconnue en Chine
Malgré ce militantisme, les Autorités la tolèrent et à 32 ans, elle est aujourd’hui une artiste reconnue en Chine et elle expose ou se produit dans le monde entier. Pourtant elle n’a jamais suivi de formation artistique. Diplômée en sciences sociales et en sociologie, elle a travaillé pour des ONG spécialisées dans le développement rural de 2000 à 2007 et n’a commencé à faire des performances qu’en 2002. « Mais ma mère est danseuse et j’ai donc assiste à de nombreux spectacles ou répétitions de danse et de théâtre », précise-t-elle. Puis, en 2007 elle a été admise dans le programme de recherche « La Seine » de l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-arts de Paris et a vécu deux ans dans la capitale. Désormais, elle vit la plupart du temps en Chine, mais séjourne fréquemment à Paris pour son travail et parce que son mari est Français.
C’est ainsi qu’elle a été conviée à participer à l’exposition collective « Week-end de 7 jours » organisée en février dernier aux Beaux-arts et qui présentait des oeuvres des élèves du programme « La Seine ».
Vedette de l’événement
Un événement dont elle a été bien involontairement la vedette. Installée sur la façade du bâtiment son oeuvre a en effet été décrochée au bout de quelques heures sur ordre du directeur de l’école sans doute par crainte de déplaire au Président français. Le crime de Liu San Ko était d’avoir repris et pastiché l’un des principaux slogans de campagne de Nicolas Sarkozy : Travailler plus pour gagner plus. « Les Français ayant la réputation de faire souvent grève et de ne pas aimer le travail, j’ai immédiatement eu l’idée de travailler sur cette phrase », explique-t-elle. Les quatre bannières noires composant son installation portaient donc les mots « travailler », « plus », « gagner » et « moins » qui selon l’angle de vue donnaient diverses combinaisons telles que « Gagner Plus Travailler Moins », « Travailler Plus Gagner Moins »,… « Je voulais simplement faire réagir les gens et je n’imaginais pas que cela allait déclencher un tel tumulte », ajoute Liu San Ko, éberluée d’avoir été censurée en France alors que cela ne lui est encore jamais arrivé en Chine.
Détourner les slogans
« Surtout par une école d’art qui est supposée défendre la liberté d’expression et les artistes. Je savais qu’il y avait un retour du conservatisme dans le pays, mais pas à ce point ».
Mais, heureusement, le scandale suscité par cette affaire a pris une telle ampleur que le Ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, a rapidement ordonné que les bannières soient remises en place. Les Parisiens ont donc pu voir cette installation tout à fait représentative du travail de Ko Siu Lan. Passionnée par les signes, les mots et les idéogrammes, elle aime détourner, réinterpréter et manipuler les slogans pour amener les gens à s’interroger sur leur sens. « J’essaye de créer des situations ou des œuvres qui peuvent être lues ou interprétées de multiples façons en fonction du hasard, de la participation du public, de l’espace, etc… Des situations où le message est en perpétuel changement selon qui, comment, où et quand vous êtes".
Comme des objets quotidiens
« Je ne cherche pas à faire passer un message particulier mais j’espère qu’ensuite les gens se posent plus de questions au lieu de simplement accepter le monde tel qu’il est ». En 2008, elle a ainsi créé des Rubik’s Cube portant les mots One, Nation, Family, Child, Husband, System, Country, World, Party, Voice qui pouvaient donc donner de multiples combinaisons. En 2009 elle a demandé au public de revêtir des T-shirts portant différents caractères et idéogrammes chinois signifiant « you, « me », « good », « empty », « rich » et en fonction des déplacements ou des actions de chacun des phrases poétiques, communes, politiques, philosophiques ou sans aucun sens voyaient le jour. « Je ne veux pas que mes œuvres ressemblent trop à des œuvres d’art, je veux qu’elles soient comme des objets quotidiens car ce sont normalement ces banals messages quotidiens qui forment notre pensée et notre comportement. Le choix des moyens d’expressions est donc très important et c’est pourquoi j’utilise des objets usuels tels que T-shirts, bannières, Rubik Cubes,… ».
03 Avril 2010
Thierry Joly
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